Le métier de scénographe du spectacle est responsable de la conception et de la création du dispositif scénique, nécessaire à la présentation d’un spectacle. Elle/il assure la direction artistique du projet scénographique.
Le métier de scénographe comporte plusieurs parties :
- Une première liée à la conception d’une proposition artistique de l’espace dramaturgique du spectacle qui prend place sur une scène, une piste, un lieu non dédié…
- Une seconde liée à la direction de la réalisation matérielle de sa proposition, en lien avec les équipes techniques et artistiques.
3 temps peuvent alors être envisagés pour la/le scénographe :
- La conception intellectuelle d’une proposition artistique et technique. Elle donne lieu, par exemple, à la création d’une maquette ;
- La réalisation matérielle de la scénographie ;
- L’utilisation de l’œuvre par le producteur lors des représentations du spectacle.
Ces temps se traduisent par un double-statut de la/du scénographe :
- Elle/il est un salarié mentionné dans les conventions collectives du spectacle.
- Elle/il est artiste-auteur lorsque sa proposition est une création de forme originale.
Ce double statut peut être difficile à appréhender, autant pour la/le scénographe que pour ses partenaires.
Cette étude a pour but de comprendre, durant les différents temps de la création, les implications de ce statut en matière de droit du travail, de contractualisation, de rémunération, ainsi que le traitement social et fiscal de cette dernière.
I.La conception intellectuelle de l’oeuvre scénographique
En principe le producteur d’un spectacle demande à la/au scénographe de réfléchir à la création d’une scénographie. Cette demande se formalise par un contrat de commande ou un contrat de travail, en fonction du lien de subordination qui existe entre les cocontractants (v. étude CDDU). La création, lorsqu’elle est originale, est protégée par le droit d’auteur.
A.La scénographie est-elle protégée par le droit d’auteur ?
Les droits d’auteur sont les prérogatives attachées aux œuvres de l’esprit. La scénographie n’est pas désignée spécifiquement dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI) comme une œuvre de l’esprit.
Cependant, le CPI n’est pas exhaustif sur la qualification des œuvres de l’esprit. Le genre d’une œuvre (scénographie, décor, mise en scène) n’a d’ailleurs aucune conséquence sur cette qualification (art. L112-1 du CPI).
Une scénographie peut donc être protégée par le droit d’auteur, dès lors qu’elle répond aux critères de l’œuvre de l’esprit, donnés par la jurisprudence :
- elle porte l’empreinte de la personnalité de la ou du scénographe (c’est-à-dire qu’il ait opéré des choix libres et créatifs) ;
- et qu’elle soit formalisée (par des maquettes, photographies, créations).
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre étude : Œuvres protégées par le droit d’auteur .
Illustrations jurisprudentielles.
- A l’occasion d’un redressement fiscal sur la TVA appliquée sur une prestation de scénographie, le Conseil d’Etat a jugé que “tant la scénographie conçue pour l’exposition (…) que la maquette des documents graphiques réalisés (…) constituent des œuvres de l’esprit” (CE, Ch. réunies, 27 janvier 2017,n° 390660).Le droit d’auteur protège donc la réalisation finale de la scénographie, mais aussi les documents préparatoires (dès lors qu’ils répondent aux critères du droit d’auteur).
- En revanche, le droit d’auteur ne protège pas les idées et les concepts, ni les prestations strictement techniques. L’idée de faire un spectacle immersif audiovisuel dans un lieu naturel n’est pas protégé par le droit d’auteur (Cass. Ch. civ. 31 janvier 2018, 15-28.352, Inédit ).
B.La contractualisation : contrat de travail ou contrat de commande
1.Contrat de travail
La création intellectuelle de la scénographie peut être réalisée dans le cadre de la relation de travail qui lie la/le scénographe au producteur (ou diffuseur). Ce contrat suit les règles des conventions collectives du spectacle vivant (v. ci-dessous, II).
2.Contrat de commande
Le contrat de commande est un contrat d’entreprise, c’est-à-dire un contrat par lequel une personne (le commandité) se charge de faire un ouvrage pour autrui (le commanditaire) moyennant une rémunération, tout en conservant son indépendance dans l’exécution.
En matière de création artistique, le contrat de commande d’une œuvre est un contrat par lequel un producteur, un éditeur, etc. (le commanditaire) commande un travail de création à un auteur (le commandité).
Pas de formalisme. Le contrat de commande ne requiert aucun formalisme particulier (contrairement, par exemple, au contrat de travail ou de cession de droit d’auteur),(Article 1113 du Code civil ). L’écrit n’est donc pas une condition de validité du contrat de commande, qui peut être conclu à l’oral. Toutefois, la rédaction d’un écrit est vivement recommandée car elle permet aux parties de connaître avec précision l’étendue de leurs obligations.
Pour connaître les clauses importantes à insérer dans ce type de contrat, plus d’information sur l’étude d’Artcena : Commande d’une œuvre .
Pas de cession de droit. Le contrat de commande n’entraîne pas la cession automatique des droits d’exploitation de l’auteur sur son œuvre. A la livraison de l’œuvre, le commanditaire devient propriétaire de l’objet matériel (le dispositif scénique), mais il ne possède pas encore les droits de représentation et de reproduction de l’œuvre (art. L111-3 du Code de la propriété intellectuelle, Cass, civ. 24 oct. 2000 ).
Par conséquent, si l’œuvre est commandée dans un but de diffusion, il faut :
- soit prévoir dans le contrat de commande une partie distincte prévoyant la cession des droits patrimoniaux de l’auteur (en respectant le formalisme obligatoire, voir infra) ;
- soit conclure un contrat de cession de droits d’auteur distinct du contrat de commande (cf.infra III).
C.Rémunération
1.Contrat de travail
Lorsque la/le scénographe est en contrat de travail pour la partie création, elle/il est payé en salaire et à l’heure (voir II ci-dessous).
2.Contrat de commande
Rémunération. Pour rémunérer la création intellectuelle préalable à la création, un prix est fixé, appelé communément la “prime de commande”.
Il s’agit d’une rémunération forfaitaire pour le temps de travail préliminaire de création, préalable à la réalisation matérielle de l’œuvre.
N.B : la prime de commande diffère donc du pourcentage dû pour la diffusion de l’œuvre (voir infra III.B.1).
Montant. Son montant est fixé librement par les parties.
Traitement social et fiscal. La commande d’une œuvre est payée en droits d’auteur. Elle suit le même régime social et fiscal que le pourcentage de droits d’auteur dû lors de la diffusion de l’œuvre (v. infra, III.C).
II.La/le scénographe, cadre salarié
A.Contrat de travail du/de la scénographe
1.Un contrat à durée déterminée d’usage
Dans le secteur du spectacle vivant, certains postes peuvent faire l’objet d’un contrat de travail spécifique, le contrat de travail à durée déterminée d’usage (CDDU), compte-tenu de la nature temporaire de leur emploi. C’est le cas de la majorité des postes liés à la création et la production du spectacle.
Liste des emplois en CDDU. Les métiers pouvant faire l’objet d’un CDDU sont contenus dans l’accord interbranche du 24 juin 2008, qui est reproduit dans les conventions collectives (CCNEAC, annexe A de l’article V.14 ; CCNESPSV : article 7.3 ).
Dans les deux conventions, les scénographes apparaissent dans la liste des emplois pouvant faire l’objet d’un CDDU. Cette possibilité est ouverte à l’ensemble des personnes dont la mission est la scénographie, peu importe le niveau hiérarchique de leur poste.
Par exemple, les assistantes et assistants de scénographie sont également compris dans cette liste.
2.Missions et nomenclature des emplois
Missions. Les missions de la ou du scénographe ne sont pas toujours précisées dans les conventions collectives du spectacle. La convention collective des entreprises artistiques et culturelles donne la définition suivante : “un collaborateur direct de la direction artistique. Il est responsable de la création du dispositif scénique, nécessaire à la présentation d’un spectacle. Il assure la direction artistique matérielle du projet scénographique”.
Filière emploi autre qu’artistique. Malgré cette définition, les deux conventions du spectacle classent la scénographie dans les “Emploi autre qu’artistique” pour la CCNEAC, et “Emplois techniques” pour la CCNESPSV. En effet, les conventions collectives s’appuient sur l’article L. 7121-2 du Code du travail , qui donne la liste des artistes du spectacle, qu’elles reprennent pour définir la filière artistique.
Cadres. Les scénographes ont un statut de cadre, car ils sont responsables de la direction des équipes et du budget dédiés au projet scénographique. Dans les deux conventions, les scénographes sont des cadres autonomes, et plus précisément :
- CCNEAC : cadre de groupe 3 (Article XI.3 ). Ce groupe comprend les cadres de direction, qui dirigent un service en ayant une maîtrise budgétaire limitée.
- CCNESPSV : cadre groupe 2 (article 6.3 ). La convention privée connaît une catégorie de cadre en moins que la convention publique d’où la différence de groupe. Cependant, la définition du groupe est sensiblement la même : cadre autonome qui prend en charge une fonction par délégation (en l’occurrence, la réalisation de l’espace scénique), il conçoit les moyens nécessaires et leur mise en œuvre. Il gère le projet, à la maîtrise d’un budget et organise l’activité et/ou le travail de plusieurs personnes. Sa responsabilité reste toutefois limitée par rapport à celle des cadres dirigeants (article 6.2 ).
3.Temps de travail
Les scénographes sont des cadres autonomes. Elles/ils sont soumis à la durée maximale du travail et aux heures supplémentaires. Néanmoins, compte-tenu de leur niveau d’autonomie et de responsabilité, les scénographes peuvent en principe signer des conventions d’aménagement de leur temps de travail (ex : convention de forfait-jours).
Cette possibilité est ouverte dans une certaine mesure, l’engagement devant répondre à certains critères. Ces critères concernent notamment :
- la durée minimale du contrat de travail ;
- la nécessité de se conformer entièrement à l’horaire collectif de travail.
Pour plus d’information sur la manière dont ces conventions peuvent être mises en place, voir notre étude “Aménagement du temps de travail” .
B.Rémunération
1.Fixation du salaire
Salariat. Lorsque la ou le scénographe est présent pour l’exécution matérielle de sa création, il est payé en salaire. Pendant cette période, la ou le scénographe est chargé de diriger les équipes lors de la réalisation de l’espace scénique, en lien avec la mise en scène et la direction technique. A ce moment, elle ou il est payé à l’heure, en lien avec le temps de travail passé avec les équipes ou les prestataires, au plateau ou en dehors.
Salaire minimum. Le salaire minimum dépend alors de la convention collective appliquée par l’employeur :
- CCNEAC (voir “Textes salaires” en bas de convention ) ;
- CCNESPSV (voir “Textes salaires” en bas de convention ).
Les montants indiqués dans les textes salaires des 2 conventions collectives sont des minima, qu’il convient de faire varier en fonction du projet, de l’expérience de la ou du scénographe etc.
Utilisation du GUSO. Lorsqu’un ou une scénographe est employée par un organisme non professionnel du spectacle vivant, il est possible d’utiliser le GUSO (Guichet unique du spectacle occasionnel). En effet, il s’agit d’un organisme obligatoire pour ces employeurs occasionnels, lorsqu’ils souhaitent embaucher un professionnel du spectacle vivant relevant des annexes VIII ou X au règlement d’assurance chômage (voir ci-dessous II.C).
2.Charges sociales
Pour connaître les charges sociales applicables aux scénographes, se rapporter à la collection : Paie et cotisations
N.B : la déduction forfaitaire spécifique applicable aux artistes du spectacle n’est pas applicable aux scénographes (BOSS, Chap 9. Déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels) .
C.Assurance chômage (traitement social)
L’exécution matérielle de leur conception artistique étant par nature temporaire, les scénographes cotisent au régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle lorsqu’ils sont embauchés en contrat à durée déterminée (CDDU). En effet, les scénographes font partie de l’annexe VIII au règlement général de l’assurance chômage, qui donne le champ d’application de ce régime spécifique.
Les scénographes bénéficient de l’assurance chômage, s’ils remplissent notamment la condition des 507 heures travaillées avec ce type de contrats.
Pour connaître les conditions d’ouverture des droits à l’assurance chômage, se reporter à l’étude » Principales règles d’indemnisation au titre des annexes VIII et X de la convention d’assurance chômage « .
III.Scénographe, auteur d’œuvres diffusées artiste auteur
Pour être diffusée, notamment pour des représentations dans le domaine du spectacle vivant, la scénographie protégée par le droit d’auteur (cf.supra I.) doit faire l’objet d’un contrat distinct : le contrat de cession de droits d’auteur. La rémunération est spécifique et suit des règles différentes de celles du contrat de commande. Son traitement social et fiscal reste néanmoins le même.
A.Contrat de cession de droit d’auteur sur la scénographie
L’exploitation d’une scénographie nécessite la conclusion d’un contrat de cession avec la ou le scénographe. Ce contrat doit remplir certaines conditions, sous peine de nullité.
Dans tous les contrats de cession, chacun des droits cédés doit être mentionné distinctement dans le contrat (art. L131-3 du Code de la propriété intellectuelle ).
Les parties doivent préciser dans le contrat le domaine de la cession, c’est-à-dire :
- l’étendue des droits cédés ;
- la destination ;
- le territoire d’exploitation ;
- la durée.
Ce formalisme s’impose également si la ou le scénographe décide de céder ses droits à titre gracieux.
Un simple accord verbal ne suffit pas, de même qu’un accord de principe par courrier ou mail, dès lors que toutes les mentions ne figurent pas dans ce document.
La cession dont l’étendue des droits cédés est trop vaste, dont la durée n’est pas précisée, (etc.) n’est pas valable : toute clause générale et non limitativement énumérée doit être réputée sans effet.
Pour plus d’information sur la cession des droits d’auteur, ou pour trouver un modèle de contrat de cession, voir l’étude : Cession des droits d’auteur .
B.Rémunération de la scénographie en droits d’auteur
En dehors de l’exécution matérielle de leur création, les scénographes sont payés en tant qu’auteurs. On parle communément de rémunération en “droits d’auteur”.
La rémunération en droits d’auteur comporte notamment :
- Les revenus de la conception intellectuelle de la scénographie, en amont de la réalisation matérielle. A cette occasion, il peut exister un contrat de commande pour encadrer le travail du ou de la scénographe.
- Les revenus issus des autorisations d’exploitation de l’œuvre scénographique lors d’un spectacle. Il s’agit de redevances, et éventuellement des avances sur droits ou minima garantis, prévus dans un contrat de cession de droits d’auteur. Ces revenus sont un pourcentage des recettes de l’exploitation du spectacle (article L131-4 du Code de la propriété intellectuelle ). Les recettes peuvent être issues de la billetterie ou du prix de cession du spectacle.
NB : D’autres activités peuvent entrer dans le champ d’application des droits d’auteur (article R382-1-1 )et article R382-1-2 )du Code de la Sécurité sociale), et notamment :
- La présentation d’une ou plusieurs de ses oeuvres par l’artiste-auteur (conférences, interview…) ;
- La présentation de son processus de création lors de rencontres publiques et débats ;
- Les bourses de création, de production ou de recherche, lorsqu’elles ont pour objet unique la conception, la réalisation d’une œuvre ou d’une exposition, la participation à un concours ou la réponse à des commandes et appels à projets publics ou privés ;
- Le travail de sélection ou présélection en vue de l’attribution d’un prix ou d’une récompense à un artiste-auteur pour une ou plusieurs de ses oeuvres ;
- La remise d’un prix ou d’une récompense pour leur œuvre.
C.Aspects sociaux et fiscaux
Les droits d’auteurs perçus, qu’ils proviennent de la commande d’une œuvre ou des droits de diffusion, suivent le même régime social et fiscal.
Pour la rémunération de leur travail et pour l’exploitation de leur œuvre, les scénographes dépendent de la Sécurité sociale des artistes-auteurs. Elles/ils font partie de la branche des arts graphiques et plastiques (art. R. 382-1 du Code de la sécurité sociale).
L’affiliation à la Sécurité sociale est automatique, dès le premier euro de droits d’auteur perçu ou lors de la déclaration de début d’activité (dans le cas où la/le scénographe souhaite exercer comme indépendant).
Dans le cas où la/le scénographe ne déclare pas son activité, son commanditaire émet une note de droit d’auteur et précompte les cotisations sociales.
Fiscalement, ces revenus sont assimilés à des “Traitements et salaires” (notamment pour le paiement de l’impôt sur le revenu).
Dans le cas où la/le scénographe a déclaré son activité devant le RCS, il émet une facture et gère indépendamment le paiement de ses cotisations sociales.
Fiscalement, ces revenus sont assimilés à des “Bénéfices non-commerciaux” (notamment pour le paiement de l’impôt sur le revenu).
Pour avoir plus d’informations sur les notes de droits d’auteur ou sur le traitement fiscal et social des droits d’auteur, vous pouvez consulter notre étude : Aspect sociaux et fiscaux du droit d’auteur