Embauche d’artistes dans le spectacle

source : artcena.fr

Le Code de la propriété intellectuelle établit une liste non exhaustive des artistes du spectacle et prévoit pour eux une présomption légale de salariat. Néanmoins, cette présomption ne joue pas pour les autres intervenants  dans un spectacle vivant.

Selon l’article L7121-2 du Code du travail (  ), sont notamment considérés comme artiste  du spectacle :
 1° L’artiste lyrique ;
 2° L’artiste dramatique ;
 3° L’artiste chorégraphique ;
 4° L’artiste de variétés ;
 5° Le musicien ;
 6° Le chansonnier ;
 7° L’artiste de complément ;
 8° Le chef d’orchestre ;
 9° L’arrangeur-orchestrateur ;
 l0° Le metteur en scène, le réalisateur et le chorégraphe, pour l’exécution matérielle de leur  conception artistique.
 11° L’artiste de cirque ;
 12° Le marionnettiste ;
 13° Les personnes dont l’activité est reconnue comme un métier d’artiste-interprète par les  conventions collectives du spectacle vivant étendues.

I.Présomption légale de salariat des artistes du spectacle

A.Définition

Toute personne qui rémunère un artiste du spectacle pour l’exécution de sa prestation artistique est réputée être son employeur dès lors que l’artiste n’exerce pas cette activité dans des conditions qui impliquent son inscription au registre du commerce (art. L7121-3 du Code du travail   ) :

« Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés ».

La qualité d’employeur nécessite de respecter l’ensemble de la législation sociale applicable aux salariés (déclarations relatives à l’embauche, rémunération conforme aux minima sociaux, congés payés, charges sociales, délivrance d’un bulletin de paie, etc.).

Ainsi, un entrepreneur de spectacles qui fait appel à un artiste en vue de sa production doit établir un contrat de travail, sauf si l’artiste est inscrit au registre du commerce et des sociétés et qu’il exerce ses missions dans une véritable indépendance, ce qui est en pratique assez rare pour les artistes du spectacle (dans ce cas, la présomption de salariat ne joue pas). Le plus souvent il s’agit d’un contrat à durée déterminée.

Lorsque l’artiste n’est pas inscrit au registre du commerce, il est très difficile de rapporter la preuve qu’il exerce son activité en toute indépendance : les juges considèrent dans la plupart des situations que l’entrepreneur n’est pas le bénéficiaire d’une prestation de service mais qu’il est l’employeur de l’artiste. L’entrepreneur, qui fait appel à un artiste effectuant du faux travail indépendant, peut alors être passible des sanctions applicables au travail dissimulé.

Il s’agit d’une présomption forte : « La présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Cette présomption subsiste même s’il est prouvé que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle » (art. L7121-4 du Code du travail   ).

La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé ce principe « (cette présomption) subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties, cette présomption n’est pas détruite par la preuve que l’artiste emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle« . En l’occurrence, il s’agissait d’un artiste, représentant une troupe de 3 personnes dont l’activité était les spectacles, animations, marionnettes et musique, qui avait conclu une convention intitulée « contrat d’animation de camping » par laquelle la troupe s’engageait à des animations de soirée et pour les enfants (Cass, soc. 20 sept. 2006   ).

B.Présomption de salariat et auto-entreprenariat

« L’artiste du spectacle qui exerce son activité en qualité de salarié dans le cadre des dispositions de l’article L7121-3 du code du travail ne peut pas se déclarer auto-entrepreneur pour la même profession » (Circulaire du 28 janvier 2010 relative à la mise en oeuvre, pour les artistes et techniciens du spectacle, du régime de l’auto-entrepreneur).

Les artistes du spectacle bénéficiant de la présomption de salariat ne peuvent pas bénéficier du régime d’auto-entrepreneur pour l’exercice de cette même activité. En effet, les activités rattachées au régime général de la Sécurité sociale ne peuvent pas bénéficier du régime de l’auto-entrepreneur qui est réservé aux entrepreneurs relevant du régime social des indépendants. Le double statut (artiste salarié et artiste auto-entrepreneur) n’est donc pas envisageable pour la même profession.

En revanche, lorsqu’un artiste choisit d’exercer exclusivement son activité artistique dans des conditions qui impliquent son inscription au registre du commerce, il peut utiliser le régime de l’auto-entrepreneuriat pour l’exercice de cette activité indépendante (art. L7121-3 et 4 du Code du travail    et circulaire du 28 janvier 2010 relative à la mise en oeuvre, pour les artistes et techniciens du spectacle, du régime de l’auto-entrepreneur).

Se reporter à l’étude « Entreprise individuelle » (  ).

C.Présomption de salariat et artistes du spectacle bénévoles

Cette présomption rend difficile la pratique d’une activité bénévole en tant qu’artiste du spectacle, une mission bénévole en tant qu’artiste pouvant être aisément requalifiée en relation salariée.

L’existence d’un lien de subordination et/ou l’existence d’une rémunération peuvent permettre à un juge ou à une Administration de mettre en œuvre cette présomption légale et d’entraîner la requalification.

Se reporter à l’étude « Bénévolat » (  ).

D.Renversement de la présomption de salariat

1.Artiste prestataire de services dans l’UE ou l’EEE

La présomption de salariat ne s’applique pas aux artistes reconnus comme prestataires de services établis dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen où ils fournissent habituellement des services analogues et qui viennent exercer leur activité en France, par la voie de la prestation de services, à titre temporaire et indépendant (art. L7121-5 du Code du travail   ).

Toutefois, l’entrepreneur de spectacles qui fait appel à des artistes prestataires de services dans l’UE ou l’EEE doit rester vigilant : la cour de Cassation a jugé que pour ne pas salarier ces artistes, l’organisateur devait rapporter la preuve qu’ils avaient bien la qualité de travailleurs indépendants dans leur État membre (Cass, civ. 24 avr. 2012. n°11-14505. Inédit). A défaut de pouvoir démontrer que les artistes sont des travailleurs indépendants, l’entrepreneur est considéré comme étant leur employeur.

La cour de Cassation a confirmé sa position dans un arrêt en date du 14 mai 2014 (  ) : c’est à l’entrepreneur qui fait appel aux artistes en France de prouver qu’ils exercent leur activité de manière indépendante dans leur État d’origine. A défaut, de pouvoir justifier que les artistes concernés exercent leur activité à titre de prestataires de services indépendants, la présomption de salariat s’applique.

La situation de travailleur indépendant peut notamment être rapportée par le biais du formulaire A1 (pour plus de précisions, se rapporter à l’étude « Réglementation applicable en cas d’embauche directe ou de détachement »    – cf. II.A.4)

2.Dirigeance de droit ou de fait

a.Artiste titulaire de la licence d’entrepreneur de spectacles

Au regard du bénéfice de l’assurance chômage, il est déconseillé à un artiste ou un technicien intermittent d’être titulaire de la licence d’entrepreneur de spectacles, car Pôle emploi, selon un faisceau d’indices (signature de chèques et de contrats, établissement du siège social de la structure au domicile de l’intermittent, titularité de la licence, etc.), peut considérer, compte tenu de ses responsabilités d’organisateur ou de producteur de spectacles et/ou de dirigeant, que l’intermittent n’est plus en recherche effective d’emploi et qu’il n’est pas embauché en contrat de travail.

Le seul indice de la détention n’est pas suffisant pour prouver la qualité de dirigeant de fait, selon la Cour de cassation (Cass. soc., 8 juil.2020, 18-21.278, Inédit   

« Ayant relevé que la détention d’une licence d’entrepreneur de spectacles vivants en application de l’article L. 7122-5 du code du travail ne suffisait pas à conférer à son titulaire la qualité de dirigeant de l’association organisatrice des spectacles, en sorte que Pôle emploi ne rapportait pas la preuve que, comme il le soutenait, l’activité de l’artiste s’exerçait en toute autonomie dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce, la cour d’appel en a exactement déduit que la présomption de contrat de travail devait recevoir application« .

En revanche, lorsqu’elle est accompagnée d’autres faits, la titularité de la licence est un indice important de la qualité de dirigeant de fait (Cass, soc. 9 déc. 2010. n°09-16751. Inédit).

Dans l’affaire du 9 décembre 2010, l’artiste concerné était également trésorier général adjoint de l’association, il avait signé des versements sur le compte de l’Assedic, ainsi que des lettres et bordereaux adressées à différentes caisses sociales et la plupart de ses CDD n’étaient pas signés.

En l’espèce, la présomption de salariat des artistes du spectacle fixée à l’article L7121-3 du Code du travail (  ) a été renversée. La Cour de cassation a ainsi condamné l’artiste-trésorier à reverser 50 096 euros à Pôle emploi au titre de sommes indûment perçues.

b.Artiste coproducteur

Se reporter à l’étude « Coproduction » (  ).

La jurisprudence a déjà renversé la présomption de salariat d’artistes qui avaient conclu un contrat de société en participation dans lequel était prévu le partage des bénéfices et des pertes. La Cour de cassation a estimé en l’espèce que la signature de contrat manifestait de la part des artistes la volonté de se comporter en coentrepreneur de spectacles, et que par conséquent la présomption de salariat ne s’appliquait pas. De plus, ces artistes avaient participé effectivement au déficit (Cass, soc. 31 oct. 1991   ) :

« la constitution entre un artiste et un organisateur de spectacles d’une société ou association en participation dans laquelle est prévu le partage des bénéfices et des pertes, manifeste de la part de l’artiste la volonté de se comporter en coentrepreneur de spectacles ; qu’en outre, (…), le rapport d’expertise fait état, dans les comptes des spectacles donnés par les 5 artistes concernés, des déficits auxquels ils ont participé ».

A contrario, la Cour a décidé qu’un metteur en scène doit se voir reconnaître la qualité de salarié dès lors :

– qu’il n’est pas associé aux pertes, qu’il ne supporte pas le déficit éventuel sur son patrimoine ;

– et que les 2 parties ne collaborent pas sur un pied d’égalité, la société de production intervenant dans la direction et l’exécution du travail du metteur en scène (donc lien de subordination).

Le lien de subordination a notamment été reconnu car :

« la société productrice avait seule le choix final concernant les collaborateurs et fournisseurs à la production et se réservait le droit de faire travailler a l’œuvre tout auteur supplémentaire de son choix comme de modifier a tout moment le titre et le montage du film ; que le plan de travail qui avait été établi par le producteur avec (le metteur en scène) devait être strictement respecté et que les normes de production devaient être observées, ce dont il résultait que les deux parties ne collaboraient pas sur un pied d’égalité, que la société productrice intervenait dans la direction et l’exécution du travail de mise en scène du metteur en scène, le plaçant ainsi sous son contrôle » (Cass, soc. 20 nov. 1974   ).

Il convient toutefois de toujours rester vigilant si un artiste devient associé d’une société en participation, et qu’il joue lors de représentations produites par cette SEP. Cette possibilité ne doit pas permettre à la compagnie de payer les artistes à la recette, en-dessous des minima salariaux.

Les risques de requalification sont souvent présents à l’occasion des contrôles de l’Administration (Urssaf, Inspection du travail, Congés spectacles) ou en cas de blessure de l’un des artistes concernés lors d’une répétition ou d’une représentation.

II.Présomption de salariat pour les autres intervenants dans un spectacle vivant

Même s’il n’existe pas de présomption légale de salariat pour les autres intervenants à la production, diffusion ou organisation de spectacles, une relation (liant une compagnie à un technicien travailleur indépendant, ou à un barman bénévole, etc.), peut être requalifiée en contrat de travail dans certains cas, si certains critères sont remplis.

Le Code du travail ne donne pas de définition du salarié, ni même du contrat de travail, il est toutefois possible selon la jurisprudence de dégager 3 critères permettant de définir l’activité salariée :

– l’existence d’une prestation de travail ;

– la perception d’une contrepartie financière ;

– un lien de subordination.

C’est la situation de fait dans laquelle se trouvent les cocontractants qui permet de qualifier avec exactitude leurs rapports contractuels. La dénomination d’un contrat ne lie pas les tribunaux.

Le lien de subordination se définit comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. soc. 13 nov. 1996   ).

Par exemple, la participation à une émission de télé réalité a déjà été requalifiée en contrat de travail. Dans cette affaire, les conditions de tournage caractérisaient l’existence d’une relation de travail entre les parties. Les participants avaient l’obligation de prendre part à des réunions, certaines scènes étaient répétées pour valoriser des moments essentiels, le règlement leur imposait une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur. Il s’agissait par conséquent d’une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société Glem (Cass, soc. 3 juin 2009   )

A l’occasion de cette affaire, la Cour a à nouveau rappelé que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs« .

III.Conséquences de la requalification de la relation de travail en salariat

Application de la réglementation légale du travail. S’il y a requalification en salariat, les Administrations et juridictions considèrent que la mission est exercée en contrat de travail à durée indéterminée et que la relation de travail a été rompue par l’employeur sans que ne soit respectée la procédure de licenciement, d’où la qualification automatique de licenciement abusif, et l’octroi de dommages et intérêts qui en découlent.

L’employeur sera tenu de respecter la réglementation légale du travail, concernant les indemnités de préavis en cas de cessation du contrat, les indemnités de licenciement, mais également de licenciement sans cause réelle et sérieuse (voir étude « Licenciement : indemnités et préavis »   ).

Paiement des charges. L’employeur doit payer un salaire et régler toutes les cotisations et charges sociales afférentes, avec éventuellement des pénalités de retard et des sanctions y compris pénales pour le non respect des obligations sociales, par exemple : défaut préalable d’embauche, de remise de bulletin de salaire.

Travail dissimulé. L’employeur peut également être poursuivi pour travail dissimulé et être passible de sanctions, notamment de sanctions pénales, de sanctions administratives (voir étude « Travail dissimulé »   ).

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Posté le

2 février 2024

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